ncien partisan de la lutte contre Israël, ce professeur palestinien de l’université d’Al-Quds, à Jérusalem, a emmené ses étudiants musulmans en voyage à Auschwitz.
Ils devaient être trente. Au matin du départ, le professeur Dajani ne comptait plus que vingt-sept étudiants. Sous la pression des parents, des amis, du qu’en-dira-t-on, les trois absents ont renoncé. Ils ne verront pas la Pologne. « En Palestine, on leur présente l’Holocauste comme une fable inventée par Israël, ils baignent dans une culture du négationnisme », explique-t-il dans un anglais parfait, avec la voix rauque qu’ont parfois les gros fumeurs.
L’affaire date de mars dernier. Mohammed Dajani, professeur d’études américaines à l’université d’Al-Quds, à Jérusalem, emmène ses étudiants, tous musulmans, en visite à Auschwitz. « Ils étaient très émus, ils sont restés longtemps silencieux, à regarder. »
En Palestine, l’initiative est très critiquée. « Ce traître devrait enseigner la Nakba [la « catastrophe » de la création de l’État d’Israël] au lieu de bourrer le mou de nos enfants avec l’Holocauste », lance un politique. Le prof s’en moque : « J’ai lu que le voyage avait été financé par des lobbies juifs, qu’Israël était derrière tout ça, que j’avais détourné ces jeunes… N’importe quoi. »
À 68 ans, l’homme a vécu deux vies. Né dans la haute bourgeoisie de Ramallah, Mohammed Dajani a grandi avec Israël dans le viseur. Il s’engage dans la lutte armée, au Fatah d’Arafat, pour « libérer la Palestine de [ses] oppresseurs » et est étudiant à Beyrouth lorsque Tsahal mène la guerre des Six Jours : le Sinaï, le plateau du Golan, la bande de Gaza et la Cisjordanie sont annexés. « Mon credo à l’époque, c’était “nous ou eux” », lâche-t-il.
Banni d’Israël, il file aux États-Unis où il décroche une maîtrise de l’université du Michigan, puis deux doctorats des universités de Caroline du Sud et du Texas. «L’expérience m’a beaucoup appris. Là-bas, j’ai découvert la démocratie, la liberté, j’ai dopé mon esprit. »
En 1993, son père tombe malade, un cancer. Il est pris en charge par l’hôpital israélien Ein Karem. « Je n’avais pas vu Jérusalem depuis 1967, raconte le fils devenu professeur. Le choc a été de voir mon père être traité comme un patient, pas comme un Arabe. Cela m’a fait réfléchir sur mes a priori, sur ma peur de l’ennemi. »
Depuis, il a fondé Wasatia, une association qui tend vers le politique. Le mot signifie « modération » en arabe. « Wasatia existe pour contrer les radicaux, ceux qui s’emparent de la religion pour promouvoir leur extrémisme. Moi, je sais que l’islam est une religion de paix. Le Coran me sert à prêcher la tolérance, l’éducation, l’acceptation de l’autre. »
Seul au milieu du champ de bataille, Mohammed Dajani appelle au dialogue et à la modération, en évitant les balles. « On ne doit pas oublier que la haine a mené au génocide, nous ne sommes à l’abri de rien dans la région. »
Depuis des mois, le site internet de Wasatia est la cible de hackers. « Mais les médias préfèrent l’histoire du professeur qui lave le cerveau de la jeunesse à celle du professeur qui enseigne à ses élèves. Que puis-je y faire ? »
A retrouver dans le numéro 27 de XXI.