usra Mardini est une pépite jalousement gardée. « Son coach et moi, on a refusé plus de sept cent cinquante demandes d’interview, bientôt huit cents, et je ne blague pas », assène un responsable du comité olympique allemand : « On regrette, mais une fille de 18 ans ne peut pas répondre à toutes ces sollicitations. » Si la jeune fille attire autant les médias, c’est que la jolie brune est à croquer, et son histoire un conte de fées.
Sans la guerre, Yusra serait restée à Damas. Les obus ont bouleversé sa vie d’ado : « Parfois, j’allais m’entraîner et la piscine était bombardée. On regardait le plafond en nageant, il y avait trois, quatre trous au-dessus de nous. » Son père, qui refusait jusque-là d’envisager la grande traversée, change d’avis. Il met toutes ses billes sur la table, 10 000 euros, pour envoyer Yusra et sa grande sœur en Europe.
Deux sirènes désespérées
Elles embarquent en août 2015 sur un rafiot qui longe les côtes turques, vingt personnes sur une embarcation pneumatique prévue pour six. Au bout d’une demi-heure, le moteur tombe en panne. La grande sœur saute à l’eau pour pousser le bateau. Yusra l’imite. « Ma sœur a crié : “Non toi, tu restes à bord !” Les gens étaient terrorisés, mais nous on se disputait ! Ça aurait été terrible d’être bonnes nageuses et de mourir dans l’eau. Dans le bateau, il y avait un enfant de 6 ans… Je devais lui faire des sourires, ne pas le laisser penser qu’on allait peut-être mourir. » Après plusieurs heures d’efforts dans la mer Égée, le rafiot tracté par ces sirènes désespérées accoste en Grèce. S’ensuivent plusieurs jours de marche, et l’arrivée dans une caserne militaire de Berlin, la terre promise.
Un interprète égyptien la dirige vers un club de natation. Un entraîneur la repère et lui propose les JO de Rio : le comité international olympique vient d’annoncer la création d’une équipe de réfugiés, qui défileront derrière le drapeau aux cinq anneaux. Pour se qualifier, Yusra doit bouffer des longueurs : elle qui assure 2 min 11 au 200 mètres nage libre doit descendre en dessous des 2 min 03.
La sélection est annoncée en juin, elle en fait partie. La presse l’érige en symbole « des 60 millions de réfugiés à travers le monde ». À Rio, elle retrouve cinq athlètes sud-soudanais, deux judokas congolais, un marathonien éthiopien et un autre nageur syrien. Elle s’aligne sur le 200 mètres. Pas pour le podium, pour l’honneur. La délégation des réfugiés n’est pas une équipe au rabais, dit-elle. « Dans l’eau, que tu sois réfugiée, syrienne ou allemande, il n’y a pas de différence. Dans l’eau, il n’y a que toi et tes adversaires. »