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08/07/2022

Grosse fierté

MARTIN LEBRUN

Daria Marx. Cette Française lutte contre la grossophobie et les discriminations envers les personnes obèses.

Par Clara Hesse

Illustrations : Martin Lebrun

Dix millions. C’est le nombre d’obèses en France. Soit 15,4 % de la population. Dans leurs rangs, Daria Marx. Un pseudo choisi en référence à l’héroïne de la série américaine Daria, une ado asociale à la verve acerbe, et au comédien Groucho Marx, star du cinéma burlesque. Être grosse, Daria Marx l’assume. Mieux elle pense que « se réapproprier l’adjectif est un acte politique et militant ». À 38 ans, elle est l’une des pionnières du mouvement de lutte contre la grossophobie.

« Être gros, c’est être un loser »

Née en 1980 à Paris, Daria Marx est « hors normes » depuis l’enfance. « Je suis le produit d’un papa très gros et d’une maman anorexique. » Dès ses 18 ans, elle s’intéresse aux corps gros dans la société. « C’est parti d’une grande naïveté, je me demandais pourquoi j’étais traitée différemment et mal. » Reconnue en 1997 par l’OMS comme une maladie chronique plurifactorielle, l’obésité est une véritable pandémie : les études estiment qu’en 2045 un quart de la population mondiale sera obèse. « Comme le poids est devenu une question de santé publique, les gens se sentent permis de se lâcher. Ils peuvent montrer les obèses du doigt en leur disant qu’ils doivent maigrir, puisque que c’est pour leur bien. »

« On vit avec l’idée que la minceur fait partie de la panoplie de la réussite. »

À écouter Daria Marx, la société française transpire la grossophobie. « On vit avec l’idée que la minceur fait partie de la panoplie de la réussite et qu’être gros, c’est être un loser. » Le terme est même entré dans Le Petit Robert en 2019 et désigne « l’ensemble des attitudes de stigmatisation et de discrimination envers les personnes obèses ou en surpoids ».

Un combat féministe 

Après un master en histoire et philosophie, Daria Marx renonce au métier d’enseignante et accepte un poste sur la plate-forme téléphonique où elle ­effectuait des missions pour gagner un peu d’argent lors de ses études. Elle monte en grade. Jusqu’au burn out en 2006. 

Durant cette période, elle ne sort plus de chez elle et se nourrit de lectures féministes. C’est là que naît son personnage, Daria Marx, et le blog où elle publie un billet par jour pour dénoncer la grossophobie ambiante : remarques dans la rue, transports inadaptés, humiliations à l’école, commentaires au supermarché, mais aussi grossophobie dans le milieu du travail où les obèses – quand ils sont embauchés – sont payés 18 % de moins en moyenne, et face aux médecins, où certains praticiens sont loin d’être bienveillants. Si l’obésité touche presque autant les hommes (14 %) que les femmes (16 %), Daria Marx prend conscience que la lutte contre la grossophobie est un combat essentiellement féministe. « Toutes les femmes, quel que soit leur poids, subissent sur leur corps la pression des diktats du patriarcat. Mais plus on s’éloigne de la norme, plus on souffre. »

« Gros n’est pas un gros mot »

En 2016, elle cofonde avec son amie Eva Perez Bello le ­collectif Gras politique. Leur but est de faire changer les regards et les mentalités : des gros sur eux-mêmes d’abord, des autres ensuite, des pouvoirs publics enfin. Le collectif propose des séances de « yo-gras » (comprendre du yoga adapté), des tables rondes, des interventions dans les écoles, auprès de syndicats ou du défenseur des droits, et des « gros-festivals ». Sur le site de Gras politique, une liste des médecins dits « safe » et « no safe » est dressée. Eva et Daria tirent la sonnette d’alarme sur le déficit d’équipement médical. « Les ­tensiomètres ne sont pas adaptés, les tenues d’hospitalisation, trop petites, et il n’existe qu’un seul fauteuil roulant grande taille par hôpital. » En 2018, elles publient à quatre mains leur manifeste : « Gros n’est pas un gros mot : chroniques d’une discrimination ordinaire. » Leur dernier coup de gueule ? Renaissance, une émission de M6 basée sur les freak shows américains, qui propose de suivre pendant un an des obèses dans leur opération de chirurgie bariatrique et esthétique. « Un désastre. »

Publié dans le numéro 48 de XXI

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