15/09/2022

« Je ne veux plus être considéré comme juif »

Ancien président du Parlement israélien, Avraham Burg a grandi à jérusalem dans le souvenir du massacre d’Hébron, dont sa famille a été épargnée grâce à un voisin palestinien. Depuis, il dénonce la politique de discrimination contre les Arabes à l’œuvre dans son pays. Il raconte son parcours vers le pacifisme et son projet de parti mêlant juifs et Arabes israéliens pour un État laïc.

Propos recueillis par Pauline Peretz

Illustrations Gianpaolo Pagni

Une histoire m’accompagne depuis l’enfance. Mille fois elle m’a été racontée. C’est celle de ma mère, juive palestinienne, née il y a un siècle à Hébron, à l’époque du mandat britannique sur la Palestine, avant la création de l’État d’Israël. Sa famille, originaire d’Europe de l’Est, était installée à Hébron depuis sept générations. Rivka parlait l’arabe en plus de l’hébreu et du yiddish. Quand elle était petite, son père, veuf, était le rabbin ashkénaze de la ville. Ils vivaient dans un appartement qui appartenait à un Arabe. Malgré les tensions entre communautés, mon grand-père s’entendait à merveille avec Abou Chaker, son propriétaire. Un jour, le fils aîné d’Abou Chaker est tombé malade. Les médecins ayant annoncé qu’il ne passerait pas la nuit, mon grand-père s’est assis près du lit de l’enfant, et a prié jusqu’au petit matin. La fièvre est alors tombée. Pour Abou Chaker et son épouse, Oum Chaker, le rabbin avait sauvé la vie de leur fils. 

Quelques années plus tard, le 24 août 1929, Rivka avait 8 ans quand une rumeur a déclenché le massacre d’Hébron dans lequel 67 Juifs, dont une partie de ses cousins, ont péri, tués par une foule arabe fanatisée. Alors que les émeutiers approchaient aux cris de « massacrez les Juifs ! », Oum Chaker a ordonné à son fils aîné : « Va chercher ton père. Ils tuent nos Juifs ! » Abou Chaker est arrivé à cheval de ses vignes, s’est assis sur les marches de son locataire et n’a plus bougé. Quand les émeutiers sont arrivés, il leur a fait barrage. Enfermée dans l’appartement, ma famille l’entendait crier : « Il faudra me passer sur le corps ! Tuez-moi ! La famille du rabbin est ma famille ! » Il a reçu un coup de couteau à la jambe, mais a tenu bon. La foule s’est finalement éloignée. Depuis ce jour, la famille de ma mère est coupée en deux. D’un côté l’extrême droite fanatique, les colons et leurs soutiens. De l’autre, ceux qui n’oublieront jamais Abou Chaker. 

Neuf décennies après le massacre d’Hébron, je ne veux plus être considéré comme juif si l’état d’Israël m’impose sa nouvelle définition du judaïsme. J’ai pris cette décision après le vote de la loi sur l’« État-nation du peuple juif » en 2018. Cette loi affirme qu’Israël est l’État des Juifs. Elle réduit les Arabes israéliens, qui forment 20 % du pays, à un statut inférieur. Ce que notre histoire, à nous, Juifs, devrait nous rendre abject. L’égalité entre Juifs et Arabes israéliens n’a jamais existé dans les faits, mais on pouvait rêver qu’elle finisse par advenir. La nouvelle loi mettra fin à cet espoir. Quand elle sera promulguée, l’arabe cessera d’être langue officielle aux côtés de l’hébreu. Les discriminations dans l’accès au logement et au travail deviendront légales. Israël tourne le dos à la promesse d’égalité entre Juifs et non-Juifs que portait la Déclaration d’indépendance en 1948. 

Alors, quand la Cour suprême aura rejeté tous les appels contre cette loi, si la nouvelle définition du judaïsme par l’État d’Israël s’impose, moi, ancien président de l’Agence juive, ancien président de la Knesset, ancien président par intérim de l’État d’Israël, je demanderai que ma nationalité juive soit supprimée du registre de population qui précise la nationalité de chaque citoyen israélien – juive, arabe, druze, bédouine. Qu’on cesse de me qualifier ethniquement. Je dirai au ministère de l’Intérieur : « S’il vous plaît, laissez un blanc à côté de mon nom. J’ai ma propre interprétation de ce qu’est être juif. » Je l’ai annoncé il y a bientôt un an, pour provoquer un sursaut de conscience. 

Le 11 août 2018, plusieurs dizaines de milliers d’Arabes israéliens, rejoints par presque autant de Juifs, pas seulement des gens de gauche comme moi, étaient venus dénoncer la nouvelle loi. « Ici, c’est notre patrie, notre maison à tous », proclamaient les pancartes, en arabe et en hébreu. « J’ai honte de la loi nationaliste. » C’était le plus important rassemblement d’Arabes israéliens en plein centre de Tel-Aviv. Dans les ­discours ­prononcés en arabe, j’ai entendu le refus de l’humiliation, mais aussi une vraie colère. 

Mes détracteurs m’accusent de nuire à mon pays. Mais ce geste, ce sera ma manière de forcer la discussion sur ce que veut dire être juif aujourd’hui. Mon judaïsme est ouvert, accueillant, pacifiste, il a bien peu à voir avec la version israélienne du judaïsme contemporain. Être juif, ce n’est pas être défini par des gènes, ni avoir un droit inconditionnel sur une terre. C’est avoir en commun des valeurs de justice. 

Je suis juif par accident  parce que je suis né dans une famille religieuse. Je suis d’abord un être humain, puis un Israélien et, en dernier lieu, juif. Mon identité n’est pas construite dans un territoire. Ma patrie, c’est ma langue. Je parle l’arabe, que j’ai appris de ma mère, le yiddish et l’allemand, de mon père, le français, de ma femme, Yaël, l’anglais aussi, mais je ne me sens chez moi dans aucune autre langue que l’hébreu. Chacun de ses mots est associé pour moi à une citation, un vers des Sages appris dans l’enfance, dans ma famille ou à la yeshiva, l’école où j’ai étudié le Talmud et la Torah. Même si je suis devenu athée, ces textes avec lesquels j’ai grandi sont des paraboles ou des images auxquelles puiser pour penser la complexité. Je perçois la terre qui relie le Jourdain à la Méditerranée comme un seul espace où Juifs et Arabes doivent arriver à vivre ensemble, dans un seul État, jouissant des mêmes droits. J’habite à la frontière entre les deux mondes, à Nataf, un petit village dans la montagne, pas loin de Jérusalem. Je place tous mes espoirs en ce lieu, avec ses chênes et ses caroubiers, où nous vivons, Juifs et Arabes, dans une grande proximité. Ce village me donne l’énergie de combattre les démons ­d’Israël. La moitié de mes petits-enfants parlent couramment l’arabe et fréquentent des écoles bilingues. Un jour, l’un d’eux est rentré à la maison, je lui ai demandé ce qu’il avait fait à l’école.

« On a fêté l’anniversaire de Mohammed. 

Excellent ! Et vous lui avez offert quoi ? 

Grand-père ! Je te parle pas de mon copain Mohammed ! Je te parle du ­Mohammed qui est mort il y a très très longtemps ! »

L’arrière-petit-fils de mon père, ce diplômé du séminaire rabbinique de Berlin, rabbin orthodoxe, chef du parti religieux, célébrait donc la naissance du prophète Mohammed ! N’est-ce pas un miracle ? On peut vivre dans une société comme celle-là, un État où les juifs et les Palestiniens, les chrétiens et les musulmans, se mettent d’accord sur la langue, le partage du pouvoir. 

J’ai grandi à Jérusalem dans un tout autre monde, dans une famille sioniste religieuse. À l’occasion de la fête de Chavouot, qui célèbre le début des moissons et commémore le don de la Torah à Moïse sur le mont Sinaï, nous traversions le quartier en procession avec mes camarades de l’école maternelle et mon institutrice pour déposer devant l’Agence juive fruits et légumes tout juste récoltés. Cette agence, chargée d’organiser l’alyiah, la montée des juifs vers Israël, j’allais la diriger des années plus tard. À Réhavia, le quartier de l’intelligentsia allemande, ceux qui n’étaient pas professeurs étaient docteurs. On y ­croisait le prix Nobel de littérature Shai Agnon, le philosophe Martin Buber – qui militait pour un État judéo-arabe –, Yeshayahou Leibowitz, le directeur de l’Encyclopédie hébraïque, sioniste mais très critique de la politique d’occupation des territoires palestiniens. Leibowitz fut mon maître. Il s’était fait l’avocat de deux causes : la paix, et la séparation de la religion et de l’État. Il faisait preuve d’une merveilleuse ouverture d’esprit tout en défendant une soumission stricte aux lois du judaïsme. Adolescent, je ne percevais pas les contradictions. 

Jérusalem était alors comme un village, partagé entre les Jordaniens et nous. Partout, nous tombions sur des murs, des fils barbelés, des mines. Mon père, né en Allemagne dans la petite communauté juive de Dresde, faisait partie de la plupart des cabinets ministériels. Nous habitions dans le bâtiment où étaient logés les membres du gouvernement : la villa Art déco d’Abcarius Bey, un juriste grec qui l’avait fait construire pour y vivre avec son aimée, la fille d’un marchand du quartier ultraorthodoxe de Mea Shearim. Après la fondation d’Israël, elle avait été récupérée par le gouvernement. Nos voisins étaient Chaim Herzog, le père de l’actuel président, et Moshe Dayan, le fameux ministre borgne. Au sein de cette élite sioniste laïque, ma famille était la seule orthodoxe. Mais, religieux et non-religieux, nous vivions ensemble, partageant le projet de créer un État universaliste et égalitaire, portant une ambition de justice sociale.

La guerre des Six Jours, en 1967, avec l’annexion de Jérusalem et l’occupation des Territoires palestiniens, a tout changé. Nous avons découvert la vieille ville et pris l’habitude d’aller prier en famille au mur des Lamentations pour le shabbat. Le pays traversait une période d’hubris. À 12 ans, j’étais aussi arrogant que les autres. Je croyais en notre invincibilité et en notre utopie nationale – nous devions pouvoir tourner la page des souffrances de ceux qui nous avaient précédés. Je voulais en être acteur. J’ai fait mon service militaire pendant la guerre suivante, celle de Kippour. 

À 18 ans, fier d’être parachutiste et officier, j’ai participé à l’occupation. Un jour, je me suis retrouvé à Hébron, en charge d’opérations de police dans les Territoires. Nous, les parachutistes, étions connus pour notre zèle à intimider les civils, à montrer aux Palestiniens qui était le patron. J’ai fait ce qui était attendu de moi sans repenser à l’histoire que m’avait racontée ma mère. Je conduisais mes soldats en patrouille dans les collines, sur les chemins de vignobles. Nous marchions avec nos rangers à travers champs, abîmant les vignes, quand un vieux paysan s’est planté devant moi. Sur le visage du vieil homme, j’ai lu de la douleur, de la rage. Il a hurlé en arabe et j’ai hurlé à mon tour dans mon hébreu d’occupation. Nous étions armés jusqu’aux dents, il était seul contre nous. Mes hommes ont chargé leurs armes. Lui a continué à vociférer et, soudain, j’ai compris ce qu’il disait. Il était question de ses champs, hérités de sa famille, de toutes les heures de travail perdues. J’ai eu honte. 

Ces deux guerres, des Six Jours et de Kippour, marquaient la fin de l’innocence, la mienne

et celle du pays. Mais je ne le comprenais pas encore. Lorsqu’en 1977 le président égyptien Anouar el-Sadate est venu à Jérusalem négocier la paix avec Menahem Begin, le premier Premier ministre issu de la droite nationaliste, j’ai couru derrière son convoi en scandant « Plus de guerre ! Plus de bain de sang ! » Je suis devenu un peacenik pour la vie, j’ai adhéré à La Paix maintenant, et j’ai épousé Yaël, venue de France, rencontrée au sein de notre mouvement de jeunesse sioniste dix ans plus tôt, le jour de son premier shabbat dans le pays. 

La paix n’a pas duré. À peine avions-nous évacué les territoires du Sinaï que nous avons envahi le Liban en 1982 pour déloger les organisations palestiniennes des camps de réfugiés. J’avais 27 ans. J’étais blessé, le dos plâtré après un saut d’entraînement en parachute, mais en bon patriote, j’ai insisté pour me battre. Sur le front, je ne comprenais pas ce qui se préparait. Une fois rentré, recoupant les informations avec d’autres soldats, j’ai compris que le gouvernement, tout en parlant de cessez-le-feu, continuait à avancer en territoire libanais. Le système nous mentait. Avec des jeunes laïcs, étrangers au monde dans lequel j’avais grandi, nous avons créé Soldats contre le silence, et rédigé un texte exigeant la fin de la guerre et la démission d’Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, signé par de très nombreux soldats. 

Cela n’a pas empêché les massacres de Sabra et Chatila. Deux jours durant, les Phalanges maronites libanaises ont tué 2 000 réfugiés palestiniens, sous l’œil complice de l’armée israélienne. Je l’ai appris le jour de Rosh Hashana, le début de notre nouvelle année. J’étais à la synagogue avec mon père et mes jeunes enfants. Un ami est arrivé au milieu de la prière et m’a raconté ce qui venait de se passer dans les camps de réfugiés de Beyrouth. Nous sommes sortis sans attendre la fin du service pour préparer une réponse collective. 

Avec l’association La Paix maintenant et d’autres, nous avons organisé une immense manifestation à Tel-Aviv, la plus grande qu’ait connue le pays. Sur la place des Rois d’Israël, nous étions quatre cent mille. Un Israélien sur dix. C’était la première fois que je parlais en public. Je boitais toujours, le ventre noué, incapable de me redresser, comme si tout mon corps pressentait un moment historique. J’ai lancé : « Nous croyons à un judaïsme dont tous les chemins sont pacifiques. » Puis je suis descendu de la tribune, et je me suis appuyé sur l’épaule de mon cher beau-père, Lucien Lazare, ancien de la Résistance juive en France, artisan de la reconnaissance des Justes parmi les nations – ceux qui ont risqué leur vie pour sauver des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Du jour au lendemain, moi, l’homme de gauche anonyme portant la kippa, le parachutiste blessé devenu pacifiste, l’activiste accusant un gouvernement dans lequel son propre père, membre du Parti national religieux, était ministre, je suis devenu une figure du mouvement pacifiste. Puis député du Parti travailliste, membre de la jeune garde qui cherchait une alternative. 

Je m’étais fixé deux objectifs : la fin de l’occupation et la séparation de la religion et de l’État. Mais j’ai échoué. Mes collègues travaillistes ne voyaient pas la maladie du système, le problème de l’extrémisme religieux. Moi, je le voyais progresser partout, jusque dans ma famille. Les kippas devenaient plus grandes ; les franges rituelles, plus longues ; les discours, enflammés. Les petits partis religieux entravaient l’action des gouvernements travaillistes successifs, menaçaient de faire voler en éclats les coalitions. Je suis devenu président de l’Agence juive, puis plus jeune président de la Knesset. À la fin des années 1990, époque triomphale des migrations de masse d’Union soviétique et d’Éthiopie, j’ai voulu participer à ce moment historique qui ne se répéterait probablement jamais, le dernier chapitre du sionisme. Mais je n’étais plus fidèle à mes principes.

La révolution sioniste reposait sur deux piliers : la soif de justice sociale et la morale civique. L’une et l’autre avaient disparu au profit de l’oppression et de la corruption. Quand j’ai écrit cela, en 2003, dans une tribune affirmant que la révolution sioniste était morte, mes amis politiques m’ont traité de traître, de fasciste. Un matin, je me suis demandé ce que pourrait être un Israël sans arsenal nucléaire. Quelques heures plus tard, à la Knesset, nous devions discuter en commission constitutionnelle des conditions de libération de Mordechai ­Vanunu, le technicien nucléaire et militant pacifiste condamné à dix-huit ans de prison pour avoir révélé au ­Sunday Times l’étendue du programme nucléaire israélien dans les années 1980. Il m’est soudain apparu que lui, le traître, et moi, le politique patriote, voulions la même chose : un Moyen-Orient débarrassé des armes de destruction massive. Je brûlais d’en parler à mes collègues de la commission.
N’y pense même pas, me suis-je dit. Je n’aurais récolté que cris et colère. Ce jour-là, j’ai compris que je devais quitter cette cage dorée qu’était la politique. 

J’ai regagné ma patrie, celle des mots. Je suis passé de la décision à la réflexion, de la pratique à la morale. Je vis désormais dans ma campagne, entouré de livres bordés par les toupies que je collectionne et des peintures de ma fille Avital. Par une fenêtre, je regarde la plaine en direction de Tel-Aviv et devine la côte. Par l’autre, je suis aimanté vers les monts de Judée en direction de Jérusalem. Je me lève tôt, je cours, j’écris. Je participe à des rencontres avec des jeunes qui se préparent à l’armée. Je ne révèle mon identité qu’une fois l’échange terminé. Je veux avoir avec eux une discussion sur ce que doit être Israël sans que mon passé fasse obstacle. On s’engueule parce qu’ils sont très influencés par les lectures sécuritaires, mais on a un vrai débat. Dès que je peux, je voyage en Europe, aux États-Unis, pour être confronté à de nouvelles idées, m’extraire d’Israël pour penser autrement. Lorsque je présente le conflit israélo-palestinien à l’Académie diplomatique de Vienne, j’insiste sur sa complexité, je dis d’abord à mes étudiants : « Avant qu’on entre dans l’amertume du conflit, je veux que vous mangiez quelque chose de sucré », et je leur offre du baklava acheté la veille à Ramallah, en Cisjordanie occupée.

Je me sens paria dans ce pays où la gauche est moribonde. Mais j’ai de nombreux amis, juifs et arabes, intellectuels, activistes, hommes d’affaires, avec lesquels j’essaie d’imaginer l’avenir. Je vais à Ramallah deux fois par mois. J’écoute ce qui s’y passe, la jeune génération, des intellectuels, des entrepreneurs. Ils sont de plus en plus nombreux à dire : « Nous voulons voter, nous connaissons la démocratie, nous l’avons apprise de vous. » Les Palestiniens doivent avoir leur mot à dire sur les décisions qui les concernent. Je sillonne le pays en voiture en écoutant les chants du hazzan de la synagogue, pour retrouver, seul Juif parmi les Arabes, mes amis à Acre ou Ramallah. Autour d’un café et d’une assiette de houmous, nous discutons de foot, de cuisine, de vacances, d’ordinateurs, comme tout le monde. Et on travaille au parti arabe israélien que nous voulons construire ensemble. Il faut faire sauter les lignes ethniques et religieuses, l’égalité civique doit être la clé. Je partage cette conviction avec mes plus proches, Yaël, ma compagne de toujours, mes enfants, ma belle-famille. Il y a quelques mois, j’ai accompagné mon beau-père au bureau de vote, dans un secteur ultranationaliste. Lucien a dit à ceux qui étaient présents : « À la prochaine élection, j’aurai 101 ans. Eh bien, je voterai à nouveau pour la Liste arabe unie. »

Un jour, quand j’étais enfant, Oum Chaker est venue nous rendre visite à ­Jérusalem. Ma tante l’avait retrouvée à Hébron. Là, dans notre maison de ­Rehavia, se trouvait celle dont j’avais toujours entendu parler. La femme dont l’appel à l’aide avait sauvé ma famille. Celle à qui Rivka devait la vie, à qui je devais aussi la mienne. D’une certaine façon, la vieille dame d’Hébron était la seconde mère de ma mère, elle qui avait perdu la sienne si jeune. Ce jour-là, pendant quelques instants, j’ai eu une grand-mère palestinienne.

Ce récit est paru dans le numéro 56 de XXI.

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